Manger bio ou pas ?
Nous vivons dans une société où il existe deux catégories d’aliments : ceux qui sont certifiés comme « exempts » de produits toxiques, et les autres. Et nous avons le choix entre les deux. Absurde, non ?
Bien sûr, c’est un peu plus complexe que ça. Mais uniquement parce que nous voulons que ce soit complexe. Apparemment, c’est le propre d’une société civilisée.
Comme souvent, ce qui pourrait ressembler à une liberté de choix est en fait très conditionnel :
– le soin particulier apporté aux produits bio (y compris le coût de leur certification) rend ces produits généralement plus chers ;
– les recommandations officielles de santé publique ne déconseillent jamais de consommer des produits non bio ;
– les producteurs et distributeurs de produits non bio ont une force de frappe publicitaire que les producteurs bio ne peuvent égaler (sauf à augmenter encore les prix).
La boucle est bouclée.
Au niveau personnel comme au niveau collectif, c’est l’argent qui sert d’arbitre.
Or, je rappelle qu’on parle de nourriture, c’est-à-dire le niveau 1 de la pyramide des besoins selon Maslow.
A en croire le CNRTL (centre national de ressources textuelles et lexicales), l’alimentation c’est tout simplement l’« action de fournir à un être vivant, ou de se procurer à soi-même, les éléments nécessaires à la croissance, à la conservation ».
Je pourrais m’arrêter là car tout est dit.
Tout le reste relève de la justification du pourquoi on continue à soutenir un système alimentaire aussi absurde.
Il serait impossible de nourrir la terre entière avec des méthodes agricoles plus saines et respectueuses de la vie.
Cette affirmation est déjà incohérente si l’on s’en tient au sens des mots.
A partir du moment où les instances de santé publique reconnaissent le caractère pathogène de certaines molécules contenues dans l’alimentation courante, et dès lors qu’on en connaît la provenance, la vraie question qui se pose c’est de savoir si on est en train de nourrir la terre entière ou de l’empoisonner tranquillement ?
Je pose sincèrement la question, car, si on raisonne en terme d’intérêt public, c’est un domaine où il ne devrait pas y avoir de demi-mesure.
Chacun fait ce qu’il veut pour lui-même, mais les dispositions collectives devraient tendre vers le meilleur pour les populations.
Comme indiqué plus haut, se nourrir c’est apporter à l’organisme les éléments nécessaires à sa conservation, c’est entretenir notre biologie interne, notre moteur. Peut-on encore considérer que les aliments contenant des résidus de pesticides ou des additifs chimiques, reconnus comme cancérigènes, vont contribuer à la croissance d’un enfant ?
Il existe une réglementation pléthorique dans le secteur alimentaire. Sur ce sujet, les seuils de tolérance sont conçus de telle sorte que, produit par produit, on définit une dose acceptable de composants non naturels et non alimentaires. Ceci est déjà critiquable en soi car ces seuils sont essentiellement spéculatifs, et de fait on est loin du principe de précaution. Malheureusement, lorsqu’il s’agit de prouver qu’une molécule d’un médicament est bien celle qui agit favorablement contre la maladie, le lien de causalité semble évident ; en revanche, lorsqu’il s’agit de prouver qu’un autre produit pourrait au contraire favoriser le développement d’une pathologie, alors le lien de causalité fait débat car le vivant est si complexe…
En outre, ces garde-fous sont totalement inefficaces quand on pense à l’« effet cocktail » : chacun de nous compose son alimentation quotidienne à sa guise, en cumulant différentes sources de pollution potentielle, et ingère au même moment des produits néfastes contenus dans différents types d’aliments autorisés à la consommation.
Ainsi, même s’il semble difficile de faire évoluer nos modes de production, parce qu’intégrés dans des problématiques systémiques, en réalité, sur le papier, ce n’est même pas une option.
Et si les pourvoyeurs de fond décidaient demain d’en faire un objectif prioritaire, les modalités pratiques ne seraient plus un obstacle.
Quant aux agriculteurs, premier maillon de la chaîne, ils se retrouvent pris entre deux feux, quand ils ne sont pas pris à la gorge, parce qu’on leur demande tout et son contraire, et surtout de prendre les risques pour tout le monde.
On ne peut pas simplement leur reprocher un manque de discernement dans leurs choix de production, car, d’une certaine façon, ils ne font que répondre à la demande des consommateurs pour qui le prix est le premier critère d’achat (par nécessité ou par choix). Il n’y a aucun jugement à avoir sur qui achète des produits bio et pourquoi, mais il faut juste remettre la question dans son contexte primaire.
A défaut de débouchés pour les produits bio, certains producteurs ne peuvent tout simplement pas vivre de leur métier. Et c’est la société toute entière qui risque au passage de perdre un agriculteur de plus, malgré sa vocation. Qui le remplacera ?
C’est là que notre rôle de consommateur, en bout de chaîne, intervient pour sécuriser la filière qu’il aura pris le risque financier de mettre en place, en ayant une vision à long terme.
Notre sécurité alimentaire collective repose sur l’action de chacun à son niveau.
Les labels bio ne seraient pas suffisamment fiables.
Le système des labels de certification s’inscrit comme tout le reste dans un univers profondément capitaliste, et il connaît donc lui aussi les travers de la loi du marché.
Pour rappel, cette loi consiste à croire que la somme des intérêts égoïstes des différents acteurs économiques conduira forcément à un équilibre qui tendra vers l’intérêt commun . Avec des décennies de recul, absolument rien ne démontre la véracité de cette hypothèse aujourd’hui, bien au contraire. La notion d’intérêt commun a été complètement supplantée par la notion de gouffre commun (on privatise les gains et on collectivise les dettes). Ce mode de fonctionnement se rapproche donc bien plus d’une religion en laquelle il faut croire, voire même d’une secte, puisque les fidèles sont régulièrement mis à contribution au nom d’un gourou symbolique par l’intermédiaire de ses prêtres dévoués, et puisque tout discours critique est considéré comme hérétique.
Fort de cette expérience, il est tout à fait souhaitable de rester vigilant, et nous devons bien entendu douter des garanties apportées par les organismes de certification, dès lors qu’ils sont eux aussi potentiellement corruptibles ou manipulables par des intérêts privés.
Nous nous sommes tous déjà questionnés face au double langage de certaines marques agro-alimentaires qui diffusent à la fois des produits bio et des produits non bio. Cette absence de cohérence interne laisse sans voix.
Par ailleurs, certains labels sont accrédités par l’État pour mettre en œuvre la législation européenne sur la question bio. Or les normes peuvent être révisées régulièrement par le pouvoir politique et devenir de moins en moins contraignantes, pour les besoins du marché.
Il est donc préférable de se fier aux organismes indépendants (comme Nature & Progrès ou Demeter) qui auront tendance à maintenir un niveau d’exigence plus strict sur la qualité des produits car ils ne sont pas soumis au pouvoir politique.
Tout bien considéré, voilà à quoi se résume bien souvent le choix du consommateur :
– payer plus cher pour un produit ayant de fortes chances d’être plus sain, mais sans qu’il en ait la certitude et sans en voir l’effet immédiat sur sa santé.
– ou consommer un produit qui a de fortes chances de contenir des éléments nocifs, mais qui ne vont pas le tuer sur le champ non plus, et qui est moins cher.
Une vision à court terme qui alimente notre dilemme quotidien, savamment entretenu pour nous infliger cette dualité dissonante et créer de la confusion là où il ne devrait même pas y avoir de question.
Primum non nocere, nous dit Hippocrate... Avant tout, ne pas nuire.
Comme on le sait, l’hygiène de vie est multifactorielle, les causes des maladies aussi, mais prendre le risque de négliger la qualité de son carburant, c’est un pari qui ne devrait pas reposer sur la capacité financière des individus qui composent une communauté d’intérêt. Il est d’ailleurs urgent de se souvenir que, dans un monde qui tourne à l’endroit, nous avons tous intérêt à ce que les autres soient en bonne santé (à méditer !).
Dans la situation actuelle, la question relève a minima de la responsabilité de chacun dans la définition de ses propres priorités et de ses marges d’adaptation face à cette contrainte.
Si l’alimentation courante était si toxique, la population mondiale n’augmenterait pas de manière exponentielle.
En réalité, cette dynamique, qui en affole beaucoup, est déjà en train de s’inverser. Sans faire un exposé statistique, il est intéressant de noter que le taux de croissance de la population mondiale diminue depuis 1965 (= la population augmente moins vite), et que, toutes choses égales par ailleurs, il est projeté une stabilisation (avant diminution) autour de 2080 avec environ 10 milliards d’individus. De multiples facteurs pourraient expliquer ce ralentissement, et notamment la forte diminution des naissances dans les pays qui accèdent au « confort moderne » et au mode de vie qui va avec (en Inde et en Chine, le taux de fécondité est inférieur à 2 enfants par femme, donc sous le seuil de renouvellement des générations).
Mais ce qui est essentiel, ce sont les données relatives à l’espérance de vie. En France, elle continue d’augmenter certes, et atteint aujourd’hui 85 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes. Toutefois, face aux nouvelles réalités de la santé publique, les statisticiens ont quand même jugé utile d’élaborer de nouveaux outils pour évaluer l’« espérance de vie en bonne santé » : 65 ans pour les femmes et 63 ans pour les hommes. Mis en parallèle des chiffres précédents, il est donc admis désormais que nous passerons potentiellement les 20 dernières années de notre vie en état de dépendance pathologique
Je ne suis décidément pas certaine que nous apportions les bons éléments à nos organismes qui luttent pourtant pour leur conservation. Pour le dire autrement, notre modèle de développement est-il réellement favorable à notre propre développement ou sommes-nous en train de procéder à notre auto-extinction ?
Bien sûr, il ne s’agit ici que d’une argumentation sommaire et non exhaustive, ayant pour objectif de soulever des questions qui semblent fondamentales.
Pour conclure, le sujet est en effet d’une complexité rare et désolante, intriqué dans des considérations paradoxales.
J’ajouterais que les causes de mortalité actuelles sont pour plus de 50 % liées aux « maladies de civilisation » (pathologies cardio-vasculaires et cancers). Il s’agit de maladies non transmissibles, officiellement reconnues comme étant essentiellement liées à notre mode de vie, et c’est certainement l’épidémie la plus criante de ces dernières décennies. On les décrit aussi souvent comme étant « liées à l’âge », pour ne pas dire « liées à l’accumulation de toxiques tout au long de la vie ». Ces pathologies ont aussi la particularité d’être chroniques ou de longue durée, voire dégénératives donc sans réel espoir de guérison malgré notre médecine moderne.
Tandis qu’on nous place régulièrement dans la peur panique d’un microbe mortel venu de nulle part qui viendra peut-être nous décimer, il me semble que notre regard sur ces pathologies déjà bien connues et sur lesquelles on pourrait agir, est bien trop résigné et fataliste.
Nous avons pris l’habitude de vivre avec et d’en mourir.
Avant de mourir, est-ce qu’on pourrait au moins essayer de vivre sans ?
C’est la question que les naturopathes osent vous poser.
A partir de là, le chemin est personnel, mais c’est toujours un chemin d’évolution, même et surtout dans la vieillesse.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir !
Crédit photo : Magazine Beaux Arts